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Ce cours aborde tous les thèmes qu'il faut maîtriser sur le texte de La Bruyère et sur le parcours "La comédie sociale". Organisé par blocs thématiques, il vous prépare à traiter n'importe quel sujet de dissertation qui pourrait tomber le jour du bac, à comprendre la problématique,  à construire un plan (parties et sous-parties) et à vous appuyer sur des références et des citations précises de l’œuvre.

I. Les Caractères, une description de la société comme une « comédie sociale »

 

a/ Le projet de La Bruyère

Les Caractères : le projet d’une vie

Le livre de La Bruyère est l'ouvrage d'une vie. Il compile, remarque, observe, sans aucune intention de publier d'abord.

« Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage » (Préface)

Les Caractères de La Bruyère sont sous-titrés, « Les mœurs de ce siècle ». Ce sous-titre invite à y trouver l'image d'un moment de la société sous le règne de Louis XIV.

 

Peindre des personnes ou bien peindre l’homme en société ?

À leur parution, Les Caractères sont lus comme une galerie de portraits, que les lecteurs se plaisent à identifier avec certains de leurs contemporains. Des livres sont même publiés, qui proposent des clés d'interprétation, pour reconnaître, derrière les modèles de La Bruyère, des personnes réelles, comme le Prince de Condé, Charles Perrault, Fontenelle, Guez de Balzac… Les Caractères provoquent une polémique très grande. Le Mercure galant, revue littéraire à la mode, accuse La Bruyère d'avoir écrit des portraits faux et immoraux, qui calomnient des personnes.

Dans la dernière édition, La Bruyère répond à ses accusations, en rejetant l'idée qu'il aurait peint des personnages réels : 

« Bien que je les tire souvent de la cour et des hommes de ma nation, on ne peut pas néanmoins les restreindre à une seule cour ni les renfermer en un seul pays, sans que mon livre ne perde beaucoup de son étendue et de son utilité » (Préface)

La Bruyère prétend donc vouloir peindre l'homme dans toute sa complexité, un projet plus noble que celui d'une simple satire de personnages réels.


Un « moraliste »

On classe souvent La Bruyère parmi les moralistes, c’est-à-dire un écrivain qui traite des mœurs ou s'adonne à l'analyse, en rappelant aussi les bonnes normes. Au XVIIe siècle, beaucoup d'écrivains se caractérisent par ce projet très descriptif de la société. La Fontaine, Madame de Lafayette… cherchent souvent plus à montrer la variété des conduites humaines, plutôt que de donner des principes moraux à suivre absolument.


b/ Les divers aspects de la « comédie sociale »

La « comédie sociale », c’est le rôle que chacun joue dans la société, comme si cela était un rôle de théâtre, donné à chacun des personnages qui la compose.

 

L’homme joue un rôle dans les conversations en société

Plutôt que d’adopter un « pompeux galimatias », c’est-à-dire un langage sophistiqué et pédant pour montrer qu’on a de l’esprit , pourquoi ne pas choisir la simplicité ?

« Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J’y suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne disiez-vous : « Il fait froid » ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites : « Il pleut, il neige. » Vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m’en féliciter ; dites : « Je vous trouve bon visage. » (…) ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux qui vous ne trouvez aucun esprit : peut-être alors croira-t-on que vous en avez. » » (V, 7)

 

Les thèmes de conversation sont toujours des choses banales, mais ce n’est pas grave !

« Si l’on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l’on aurait honte de parler ou d’écouter, et l’on se condamnerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s’accommoder à tous les esprits, permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent, ou sur l’intérêt des princes, le débit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes ; il faut laisser Aronce parler proverbe, et Mélinde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines et de ses insomnies. » (V, 5)

 

Certaines catégories d’hommes manquent d’humour et de capacité à l’autodérision

 « Les provinciaux et les sots sont toujours prêts à se fâcher, et à croire qu’on se moque d’eux ou qu’on les méprise : il ne faut jamais hasarder la plaisanterie, même la plus douce et la plus permise, qu’avec des gens polis, ou qui ont de l’esprit. » (V, 51)

 

La recherche de l’argent rend les hommes fous, et même prêts à vivre malheureux

« N’envions point à une sorte de gens leurs grandes richesses ; ils les ont à titre onéreux, et qui ne nous accommoderait point : ils ont mis leur repos, leur santé, leur honneur et leur conscience pour les avoir ; cela est trop cher, et il n’y a rien à gagner à un tel marché. (VI, 13)

 

« Laissez faire Ergaste, et il exigera un droit de tous ceux qui boivent de l’eau de la rivière, ou qui marchent sur la terre ferme : il sait convertir en or jusques aux roseaux, aux joncs et à l’ortie. (…) C’est une faim insatiable d’avoir et de posséder. » (VI, 28)

 

Les hommes se soucient beaucoup du regard des autres et aiment à regarder les autres avec mépris

(I) L’on se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez-vous public, mais fort exact, tous les soirs au Cours ou aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprouver les uns les autres. L’on ne peut se passer de ce même monde que l’on n’aime point, et dont l’on se moque.

(VII) L’on s’attend au passage réciproquement dans une promenade publique ; l’on y passe en revue l’un devant l’autre : carrosse, chevaux, livrées, armoiries, rien n’échappe aux yeux, tout est curieusement ou malignement observé ; et selon le plus ou le moins de l’équipage, ou l’on respecte les personnes, ou on les dédaigne. (VII, 1)

 

Les hommes ont une attirance et une fascination pour les puissants

« Une froideur ou une incivilité qui vient de ceux qui sont au-dessus de nous, nous les fait haïr ; mais un salut ou un sourire nous les réconcilie. » (IX, 16)

 

 

c/ L’analyse de cette société : une véritable sociologie

Le sous-titre des Caractères est : « Les mœurs de ce siècle ». Il y a donc un intérêt du moraliste pour la société, et pas seulement pour la psychologie. La Bruyère s'intéresse au conditionnement social, aux phénomènes de la société contemporaine. L'opposition entre Giton et Phédon oppose « il est riche » à « il est pauvre ». Au-delà du pouvoir de l'argent, La Bruyère entend examiner la manière dans la société produit les Grands :

« Jetez-moi dans les troupes comme un simple soldat, je suis Thersite ; mettez-moi à la tête d’une armée dont j’aie à répondre à toute l’Europe, je suis Achille » (IX, 41).

Il n'y a donc pas d'identité individuelle de la personne, mais produit d'un milieu.

 

 

II. Les Caractères, une « comédie sociale » : un moment de plaisir pour le lecteur qui est comme un spectateur de théâtre amusé


a/« un amas de pièces détachées » : une lecture faite de courts fragments variés et nombreux

Le Mercure galant, revue littéraire à la mode, accuse aussi d'avoir écrit « un amas de pièces détachées », sans cohérence, et donc un livre pas sérieux. On peut le prendre à l’inverse et se dire que le lecteur ne peut jamais s’ennuyer à cette lecture, car il peut passer, revenir en arrière, lire une remarque puis refermer le livre… l’organisation du livre invite le lecteur à une grande liberté.

 

b/ Le mélange des genres : beaucoup de livres en un seul !

Le genre du « caractère » est un mélange de genres : les formes brèves comme la maxime (= le proverbe), le théâtre, le portrait, les genres du récit

 

la fable qui vient illustrer l'énoncé général :

« Iphis voit à l'église un soulier d'une nouvelle mode, il regarde le sien et en rougit, il ne se croit plus habillé ; il était venu à la messe pour s'y montrer, et il se cache ; le voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du jour. » (Chapitre « De la mode »).


le théâtre, avec des saynètes glissées au milieu des remarques :

« J’entends Théodecte de l’antichambre ; il grossit sa voix à mesure qu’il s’approche ; le voilà entré : il rit, il crie, il éclate ; on bouche ses oreilles, c’est un tonnerre. » (V, 12)

La comédie de Molière, à la même époque s'inspire aussi de types de personnages, comme Les Caractères.


La Bruyère inscrit parfois de fines distinctions entre les différents personnages dans un cadre très concret, presque réaliste, comme une petite scène de roman. Il oppose ainsi les femmes de la cour aux femmes de la ville en accumulant les détails concrets : 

« Une femme de ville entend-elle le bruissement d’un carrosse qui s’arrête à sa porte, elle pétille de goût et de complaisance pour quiconque est dedans, sans le connaître ; mais si elle a vu de sa fenêtre un bel attelage, beaucoup de livrées, et que plusieurs rangs de clous parfaitement dorés l’aient éblouie, quelle impatience n’a-t-elle pas de voir déjà dans sa chambre4 le cavalier ou le magistrat ! (VII, 15).

 

 

c/ Le mélange des tons : le comique et le sérieux

- Les Caractères utilisent la tonalité burlesque, voisine du bouffon et de la parodie, qui joue sur un décalage entre la grandeur sociale ou morale attendue des personnages et la bassesse de leur discours de leur attitude. Cela se traduit dans le style. Exemple du caractère du courtisan en forme de montre qui à la manière de l'aiguille :

« Les roues, les ressorts, les mouvements sont cachés ; rien ne paraît d’une montre que son aiguille, qui insensiblement s’avance et achève son tour : image du courtisan, d’autant plus parfaite qu’après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d’où il est parti. » (VIII, 65)

 

- Ce burlesque, pour autant, n'est pas seulement comique : en montrant la fausseté du monde, il aspire à susciter le dégoût sur son lecteur. Dans le chapitre « Des biens de fortune », La Bruyère approche la découverte des coulisses d'un théâtre avec la visite des cuisines :

« Si vous entrez dans les cuisines, où l’on voit réduit en art et en méthode le secret de flatter votre goût et de vous  faire manger au-delà du nécessaire ; si vous examinez en détail tous les apprêts des viandes2 qui doivent composer le festin que l’on vous prépare ; si vous regardez par quelles mains elles passent, et toutes les formes différentes qu’elles prennent avant de devenir un mets exquis, et d’arriver à cette propreté et à cette élégance qui charment vos yeux, vous font hésiter sur le choix, et prendre le parti d’essayer de tout ; si vous voyez tout le repas ailleurs que sur une table bien servie, quelles saletés ! quel dégoût ! Si vous allez derrière un théâtre, et si vous nombrez les poids, les roues, les cordages, qui font les vols et les machines ; si vous considérez combien de gens entrent dans l’exécution de ces mouvements, quelle force de bras, et quelle extension de nerfs ils y emploient, vous direz : « Sont-ce là les principes et les ressorts de ce spectacle si beau, si naturel, qui paraît animé et agir de soi-même ? » Vous vous récrierez : « Quels efforts ! quelle violence ! » De même n’approfondissez pas la fortune des partisans. » (VI, 25)

 

 

III. Les Caractères, une « comédie sociale » pour réformer subtilement le lecteur, le pousser à remettre en question ses comportements

 

a/ « un amas de pièces détachées » : un lecteur actif, acteur de son propre parcours de lecture

Le Mercure galant, revue littéraire à la mode, l'accuse aussi d'avoir écrit « un amas de pièces détachées », sans cohérence.

La composition globale des Caractères est difficile à comprendre… Le livre apparaît comme un amas de fragments disparates, avec des effets de série, des éléments qui se répondent les uns aux autres, avec comme seul unité réelle le regard du moraliste. Cette manière conduit et contraint le lecteur à être actif et à faire des rapprochements, à chercher à comprendre.

 

b/ Le regard éloigné

La Bruyère fait de la cour un pays « à quelques 48° d'élévation du pôle, et à plus de 1100 lieues de mer les Iroquois et des Hurons » (VIII,74)

Cette pointe qui vient conclure un tableau de la cour pousse le lecteur à adopter un regard éloigné, à examiner avec distance ses propres mœurs. Comme si elles étaient étrangères, toute relative les unes des autres

 

c/ Inciter l'homme à se corriger

« On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l'instruction ; et s'il arrive que l'on plaise, il ne faut pas néanmoins s'en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doivent instruire. » (Préface)

« L'unique fin » (préface) : inciter l'homme à se corriger, à devenir meilleur. Dans la préface, La Bruyère indique cela comme le seul objectif de son livre, en insistant sur le caractère très difficile de cet objectif. Mais s’il n'y avait pas de moraliste, l'homme serait peut-être encore pire. Comme le philosophe Socrate avec ses questions, le moraliste est là pour suggérer une pensée aux lecteurs, mais pas pour l'imposer. Il met en scène les vices et les ridicules, pour insinuer peu à peu la vérité chez son lecteur.

 

Le lecteur subit une éducation du regard par des exercices visuels, par un jeu de réflexion, et il devient à son tour moraliste dans la vraie vie.

 

Le pouvoir moralisateur du théâtre

Comme dans la tragédie, une sorte de catharsis qui peut fonctionner ; ou, comme dans la comédie, un castigat ridendo mores.

Catharsis : comme une tragédie

La représentation des vices les fait voir et fait peur. Elle agit donc comme un repoussoir pour le lecteur, qui en lisant Les Caractères se purge de ses mauvaises tentations.

«Castigat ridendo mores » : comme une comédie

Par le rire qui tourne en ridicule les mauvais comportements humains, Les Caractères permettent aussi au lecteur de s’en débarrasser par crainte de la moquerie. La satire ne doit cependant pas blesser, car elle doit être utile. Comme dans la société et la conversation, la raillerie n'est permise que dans les cas où elle ne peut pas blesser V,54 et 55. La satire n'a pas de cible identifiée, c'est au lecteur qu'il appartient seul de savoir s'il s’y reconnaît lui-même.

 

d/ Inciter le lecteur à une méditation religieuse et philosophique sur sa place dans le monde

Le motif du théâtre du monde : nous sommes bien peu de chose

« Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur une grâce reçue, ou ce qui s’attriste et se désespère sur un refus, tous auront disparu de dessus la scène. Il s’avance déjà sur le théâtre d’autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles ; ils s’évanouiront à leur tour ; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus : de nouveaux acteurs ont pris leur place. Quel fond à faire sur un personnage de comédie ! » (VIII, 99)

 

Vers la méditation religieuse du lecteur sur lui-même

Les Caractères sont édités chez le libraire Michallet, spécialisé dans les ouvrages religieux. Le recueil se prête, comme ses livres, à une lecture fragmentée qui appelle toujours le lecteur à la réflexion. Ce n'est pas une lecture linéaire, mais une lecture qui invite sans cesse au silence par une sorte de méditation, de retour sur soi, de confession intime entre soi.

 

IV. Les idées de La Bruyère

 

a/ Contre la décadence de la société

Contre l’argent

La Bruyère condamne l'argent, comme l'origine de l'immoralité. Dans le chapitre « des biens de fortune », il développe le thème du jeu :

« peut-être aussi l'une de ces choses qui nous rendent barbare à l'autre partie du monde » (VI,71)

La Bruyère condamne le fait que :

« le hasard seul, aveugle et farouche divinité, préside au cercle, et y décide souverainement » (VI,72)

Si le pouvoir dépend de l'argent, l'ordre social perd son sens, car il n'y a plus de mérite et donc de légitimité.

 

Pour la reconnaissance du mérite et contre le règne des apparences

La Bruyère dénonce un univers où le statut est dissocié du mérite et des vertus. Il dénonce les apparences.

« Le contraire des bruits qui courent des affaires ou des personnes, est souvent la vérité » (XII,38)

La Bruyère dénonce l'écart entre la naissance et le mérite, dans le chapitre « Des Grands » :

« Les Grands croient être seuls parfaits, n’admettent qu’à peine dans les autres hommes la droiture d’esprit, l’habileté, la délicatesse, et s’emparent de ces riches talents comme de choses dues à leur naissance. C’est cependant en eux une erreur grossière de se nourrir de si fausses préventions : ce qu’il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peut-être d’une conduite1 plus délicate, ne nous est pas toujours venu de leur fonds. Ils ont de grands domaines, et une longue suite d’ancêtres : cela ne leur peut être contesté. ! (IX,19)

« Sentir le mérite, et quand il est une fois connu, le bien traiter, deux grandes démarches à faire tout de suite, et dont la plupart des Grands sont fort incapables. » (IX,35)

 

 

b/ Pour une société harmonieuse et un bon souverain

Contre les inégalités extrêmes

En matière de richesse et de pauvreté, La Bruyère dénonce les extrêmes, l'abondance absolue comme la misère la plus grande, car elles empêchent la formation d'un lien social, d'une harmonie. Il décrit par exemple la Champagne de manière ironique et violente :

« Champagne, au sortir d’un long dîner qui lui enfle l’estomac, et dans les douces fumées d’un vin d’Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu’on lui présente, qui ôterait le pain à toute une province si l’on n’y remédiait. Il est excusable : quel moyen de comprendre, dans la première heure de la digestion, qu’on puisse quelque part mourir de faim ? » (VI, 18)

 Il pose une opposition frappante :

« Ce garçon si frais, si fleuri et d’une si belle santé est seigneur d’une abbaye et de dix autres bénéfices : tous ensemble lui rapportent six vingt mille livres de revenu, dont il n’est payé qu’en médailles d’or. Il y a ailleurs six vingt familles indigentes qui ne se chauffent point pendant l’hiver, qui n’ont point d’habits pour se couvrir, et qui souvent manquent de pain ; leur pauvreté est extrême et honteuse. Quel partage ! Et cela ne prouve-t-il pas clairement un avenir ? (VI, 26)

 

Un bon souverain

C'est dans cette logique que La Bruyère fait le portrait du roi parfait, du bon souverain :

« Que de dons du ciel ne faut-il pas pour bien régner ! » (X,35)

« je sais qu’il doit répondre à Dieu même de la félicité de ses peuples » (X, 34)

« rendre les subsides légers, et tels qu'ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir » (X,35)

La Bruyère craint le désordre et refuse la violence et la contestation. Il imagine une guerre civile entre chats, en montrant quel massacre ce serait, pour l'anéantissement de leurs propres espèces (XII,119).

 

 

c/ La défense des petits, un repoussoir contre la vanité, l'orgueil et les excès.

 La Bruyère fait même l’éloge des animaux qui travaillent dur pour survivre et qui ont comme une « face humaine » :

« L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne… (qui) méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé » (XI, 128)

L'écrivain sait combien le mérite peut manquer d'être reconnu. Méprisant les mœurs de son temps, qu'il voit s’éloigner des idéaux chrétiens, à cause de la corruption de l'argent, il se raccroche à des modèles naturels, amenés à gagner dans l'avenir.

On peut même dire que les personnages sont parfois réduits à leurs possessions : par leur « avoir » plutôt que par leur « être », ce qui pousse le moraliste à prendre la défense des petits :

« Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposées, je veux dire les Grands avec le peuple, ce dernier me paraît content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un Grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux. L’un ne se forme et ne s’exerce que dans les choses qui sont utiles ; l’autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l’écorce de la politesse. Le peuple n’a guère d’esprit, et les Grands n’ont point d’âme : celui-là a un bon fond, et n’a point de dehors ; ceux-ci n’ont que des dehors et qu’une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple. » (IX,25)

Une remarque compare l'esprit des femmes de la cour à la fatuité des femmes de la ville, la grossièreté des femmes du peuple et la rusticité des villageoises. Où il est très surprenant alors de voir soulignée ici la supériorité de ces femmes par rapport aux gens de la ville :

« Cette fatuité de quelques femmes de la Ville, qui cause en elles une mauvaise imitation de celles de la Cour, est quelque chose de pire que la grossièreté des femmes du peuple, et que la rusticité des villageoises : elle a sur toutes deux l’affectation de plus. » (VII, 16)

 

 

d/ L’idéal classique : l’honnête homme, plaire et instruire

Il semble soutenir un idéal de son temps, celui de l'honnête homme. Ce modèle remplace peu à peu, au XVIIe siècle, l'idéal héroïque, par ses qualités de conversation, son esprit. Le développement de la culture moderne met en avant le bel esprit, dont Cydias est le représentant.

 

« Un homme libre, s'il a quelque esprit, peut s'élever au-dessus de sa fortune, se mêler dans le monde et aller de pair avec les plus honnêtes gens » (II,25)

« Un honnête homme qui dit oui et non, mérite d'être cru : son caractère jure pour lui, donne créance à ses paroles, et lui attire toutes sortes de confiance » (V,20)

 

« Il est vrai que les manières polies donnent cours au mérite, et le rendent agréable ; et qu’il faut avoir de bien éminentes qualités pour se soutenir sans la politesse. Il me semble que l’esprit de politesse est une certaine attention à faire que par nos paroles et par nos manières les autres soient contents de nous et d’eux-mêmes. » (V,32)

 

Pourtant, La Bruyère est conscient, comme Madame de Lafayette par exemple, que ce modèle de l’honnête homme s’est éloigné peu à peu du modèle de l’homme de bien, c’est-à-dire du bon chrétien. Il en critique donc les défauts, notamment la superficialité.

 

 

 

 

 

 

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