Molière, Le Malade imaginaire
LE COURS

Ce cours aborde tous les thèmes qu'il faut maîtriser sur la comédie de Molière et sur le parcours "Spectacle et comédie". Organisé par blocs thématiques, il vous prépare à traiter n'importe quel sujet de dissertation qui pourrait tomber le jour du bac, à comprendre la problématique, à construire un plan (parties et sous-parties) et à vous appuyer sur des références et des citations précises de l’œuvre.
1. En quoi la médecine fournit-t-elle au théâtre un réservoir d'effets comiques ?
Ce n’est pas la première fois que Molière choisit la médecine comme centre d’un de ses comédies : Le Médecin malgré lui, Le Médecin volant, L’amour médecin… Ce thème offre une matière comique très riche, et capable de créer une tension très propice à faire rire le spectateur. La gamme comique de la médecine est très variée, qui va du grotesque à la philosophie la plus profonde, du bas corporel au tragique de la condition humaine. Ce n’est pas un hasard si, avant et après Molière, il y a une riche tradition satirique au sujet de la médecine. C’est en effet une réserve d’effets comiques : hiérarchie et autorité inversées, infantilisme, rites très formels, mots savants et scatologie, humour noir, puissance d’intimidation.
Au XVIIe siècle, la médecine est un sujet de débat dans la société, car de nouvelles découvertes comme la circulation du sang divisent les médecins eux-mêmes. Molière peut ainsi ridiculiser les « conservateurs » qui refusent les progrès et s’enferment dans une pratique dépassée.
Ex. Les médecins Purgon et Diafoirus se contredisent dans leurs diagnostics et leurs prescriptions pour Argan : l’un attribue sa maladie au foie, l’autre à la rate, l’un lui prescrit de manger la viande bouillie, l’autre rôtie ; pourtant, ils se protègent les uns les autres par esprit corporatiste, ce qui révèlent leur incompétence et leur hypocrisie.
MONSIEUR DIAFOIRUS.- Eh oui, rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être en de meilleures mains.
La médecine permet aussi d’évoquer un le bas corporel, en particulier avec Argan et ses lavements.
Ex. Jeu entre Argan et Toinette autour de la chaise percée (I, 2) :
ARGAN.- (Argan se lève de sa chaise.) Mon lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ?
(…)
TOINETTE.- Ma foi je ne me mêle point de ces affaires-là, c’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.
Ex. Entrée menaçante de M. Fleurant avec un clystère (III, 4) :
MONSIEUR FLEURANT, une seringue à la main.- C’est un petit clystère que je vous apporte ; prenez vite, Monsieur, prenez vite ; il est comme il faut, il est comme il faut.
2. La relation entre le médecin et son patient permet de ménager des scènes à la forte tension comique, en particulier les scènes d'auscultation.
Il faut s’appuyer sur les deux scènes d’auscultation du Malade imaginaire (Argan examiné par Thomas Diafoirus et son père, à la fin de la scène 6 de l’acte II ; Argan examiné par Toinette travestie en médecin à la scène 10 de l’acte III).
Chaque médecin (ou pseudo-médecin) prend le pouvoir sur son patient, de plusieurs manières :
-
En utilisant un jargon (= vocabulaire de spécialistes) incompréhensible, inutile et prétentieux : le latin, les mots techniques :
MONSIEUR DIAFOIRUS lui tâte le pouls.- Allons, Thomas, prenez l’autre bras de Monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis ?
THOMAS DIAFOIRUS.- Dico , que le pouls de Monsieur, est le pouls d’un homme qui ne se porte point bien.
MONSIEUR DIAFOIRUS.- Bon.
THOMAS DIAFOIRUS.- Qu’il est duriuscule, pour ne pas dire dur.
MONSIEUR DIAFOIRUS.- Fort bien.
THOMAS DIAFOIRUS.- Repoussant.
MONSIEUR DIAFOIRUS.- Bene.
THOMAS DIAFOIRUS.- Et même un peu caprisant.
MONSIEUR DIAFOIRUS.- Optime.
THOMAS DIAFOIRUS.- Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c’est-à-dire la rate.
TOINETTE.- Ignorantus, ignoranta, ignorantum.
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En s’exprimant sur un ton catégorique et péremptoire
ARGAN.- Monsieur, combien est-ce qu’il faut mettre de grains de sel dans un œuf ?
MONSIEUR DIAFOIRUS.- Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments, par les nombres impairs.
TOINETTE.- Oui. Que sentez-vous ?
ARGAN.- Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE.- Justement, le poumon.
ARGAN.- Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.
TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- J’ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- Crever un œil ?
TOINETTE.- Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l’œil gauche.
Point de comparaison
Projection de la scène de Knock du Tambour de la ville par Knock (Jules Romains, Knock, II, 1, à partir de la réplique de Knock : « De quoi souffrez-vous ? », en ligne sur YouTube.
3. Les parties chantées et dansées du Malade imaginaire intègrent la pièce dans une ambiance festive, propice au spectacle comique.
« On verra au commencement de l'hiver le grand spectacle de Psyché triompher encore sur le théâtre du Palais Royal ; et dans le carnaval on représentera une pièce de spectacle nouvelle, et toute comique ; et comme cette pièce sera du fameux Molière, et que les ballets en seront faits par Monsieur de Beauchamp, on n'en doit rien attendre que de beau. »
Le Mercure galant de la semaine du 30 juillet au 6 août 1672.
Dans cette revue des milieux mondains parisiens, Le Malade imaginaire est annoncé comme « une pièce de spectacle nouvelle », c'est-à-dire une pièce qui mêle à la comédie le ballet et la musique, un spectacle total, en lien avec le calendrier du carnaval. Le carnaval est la fête qui précède les quarante jours du carême, où l'on autorise tous les excès : fête, déguisements, renversement des règles et des valeurs…
Les intermèdes sont placés sous le signe du déguisement et du mélange des registres, comme dans l'univers du carnaval. Il propose des spectacles dans le spectacle.
Le prologue est une pièce bucolique qui propose une réjouissance collective après l'annonce par Flore du retour du roi de sa campagne militaire. Le temps est donc d'emblée à la célébration après les efforts, sur un ton festif.
Le héros du premier intermède est un personnage de la commedia dell’arte italienne, Polichinelle. L’intermède commence par une sérénade amoureuse burlesque, sans cesse interrompue par les violons et se poursuit par une bastonnade comique du personnage victime des archers.
Le deuxième intermède, avec l'entrée des Égyptiens déguisés en maures, propose un discours sur l'amour, sur le thème du carpe diem.
4. Le troisième intermède du Malade imaginaire fait dériver la comédie, à la fin, en une fête carnavalesque et bouffonne.
Le troisième intermède est la cérémonie qui concrétise la réception d'Argan comme docteur en médecine. Il en suit les étapes : assemblée solennelle de la profession, interrogation du « bachelierus », exhortation à la déontologie professionnelle par le praeses (le président), remise du bonnet, discours de remerciement et d'éloge du candidat à ses nouveaux pairs.
Le burlesque : le formalisme de la cérémonie est en décalage total avec son invraisemblance et le ridicule des paroles prononcées, ainsi qu’avec sa « mise en ballet », car les médecins ne cessent de danser, frapper des mains…
Latin de cuisine : satire de l'incompétence des médecins et le plaisir de la folie créative, de l’invention de mots : tota compania aussi
Formules triviales : bonum appetitum
Répétitions, comme une obsession :
Clysterium donare,
Postea seignare,
Ensuitta purgare.
Sujets habituels de la satire des médecins : corporatisme, conscience d’être des charlatans, vocabulaire technique ridicule…
Enfin, cette scène est festive car elle repose sur une acceptation de la folie d’Argan, une sorte de fête des fous, dans la mesure où elle est parfaitement invraisemblable.
5. Créant un nouveau type de comique sur la scène du théâtre, Molière se moque des travers et des modes de la société de son temps, en particulier la justice et la médecine.
Dans la deuxième partie du XVIIe siècle, une des grandes tendances, et toute nouvelle, de la littérature, et de parler des comportements et des modes de l'époque, parfois pour s'en moquer.
C'est ce qu’a fait Molière en introduisant dans ses comédies ce nouveau type de comique, c’est-à-dire l'humour moderne. Il propose en effet dans son théâtre des satires de personnages contemporains, en particulier de certains métiers.
Une première victime de ce comique est le notaire Monsieur de Bonnefoy, qui représente d'une façon plus globale les métiers du droit : juges, huissiers, avocats… dont on raille souvent la malhonnêteté. C'est le cas dans la scène 7 de l'acte I, où le notaire montre tout son vice dans les propositions qu'il fait à Béline et Argan pour contourner le droit sur l'héritage et lui permettre de déshériter ses propres enfants au profit de sa femme. Comme une parole à double sens, Argan s'écrie devant la proposition du notaire :
Ma femme m'avait bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s'il vous plaît, pour lui donner mon bien, et en frustrer mes enfants ?
Bien sûr, le jeu comique repose aussi sur le nom du notaire (Bonnefoy), qui sonne comme une antiphrase.
La satire des métiers porte avant tout sur la médecine dans Le Malade imaginaire. En lien avec l'actualité de la recherche scientifique et médicale, Thomas Diafoirus défend une thèse qu'il montre sur scène en la déroulant devant Angélique et Argan. Il y condamne la nouvelle découverte de la circulation du sang : ce refus du progrès montre l'incompétence et l’obstination stupide de ces médecins. Dans la même scène, Monsieur Diafoirus explique qu'il refuse de choisir des « grands » (c’est-à-dire des aristocrates de haut rang) parmi ses patients, car ils exigent de leur médecin des résultats…
Mais ce qu'il y a de fâcheux auprès des grands, c'est que quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leur médecin les guérisse.
Bien sûr, il décrédibilise ainsi sa profession, d'autant plus que le public de Molière est fait en très grande partie de ses « grands ».
Dans la longue scène 5 de l'acte III, on a un très long débat entre Argan et Béralde au sujet de l'intérêt (ou pas) de faire appel à un médecin. Argan présente son opinion comme une profession de foi religieuse ou plutôt superstitieuse, alors que Béralde présente une réflexion beaucoup plus élaborée, inspirée du scepticisme de Montaigne face au manque d'efficacité de la médecine de l’époque.
Voir aussi, sur ce sujet, les points 1 et 2.
6. Molière propose un spectacle très proche des spectateurs et plaisant pour eux, en mettant en scène la galanterie et l'amour tels qu'ils se développent à son époque.
Dans Le Malade imaginaire, Molière propose aussi un spectacle comique de la galanterie, c'est-à-dire des nouveaux usages de la mondanité parisienne.
Cléante représente le modèle de l'honnête homme des salons parisiens. Il fait preuve de « bel esprit » et d’enjouement, et connaît le badinage. C'est particulièrement vrai à l'occasion du « petit opéra impromptu » qu'il improvise devant Argan et les Diafoirus, avec la complicité d'Angélique. Entré dans la maison d'Argan comme remplaçant du maître de musique d'Angélique, il récite et chante lorsqu'il improvise une histoire bucolique qui lui permet de dire, sans que les autres ne le comprennent, tout l'amour qu'il ressent et toute la souffrance que représente pour lui la situation : le père empêche leur mariage en voulant donner sa fille à Thomas Diafoirus. Cela donne pour le spectateur une belle scène d'amour galant, avec son goût du secret et de l'improvisation.
Cléante fait aussi preuve d'esprit en se moquant par ironie du discours ridicule de Thomas Diafoirus à Angélique.
Au début de la pièce, on assiste aussi à une scène qui parodie les usages galants lorsque Angélique (acte I, scène 4) et explique à Toinette à quel point elle est amoureuse de Cléante. Elle parle en rêvant sans écouter les réponses de Toinette, en faisant l'éloge béat de toutes les qualités de Cléante. Ces confidences apparaissent comme une parodie légère de l'amour galant de l'époque.
Thomas Diafoirus apparaît exactement comme le contre-modèle de l'honnête homme. En témoigne en particulier ses compliments appris par cœur et son incapacité totale à faire preuve de bel esprit et de sociabilité face à sa fiancée et à sa future belle-famille. Autre exemple : il propose à Angélique de l'emmener assister à une dissection, invitation évidemment un peu galante…
7. La dimension spectaculaire du Malade imaginaire vient en grande partie des effets de rythme et de tempo dans la pièce.
Tout au long de la pièce, des changements de rythme et de tempo participent de la dimension spectaculaire du Malade imaginaire. Les changements brusques sont présents dès le début : le passage entre le monologue d'Argan qui compte ses médecines et l’arrivée de Toinette accélère brusquement le tempo de la pièce. Cette accélération, au début de la scène 2 du premier acte, est créée par la colère d’Argan qui fait sonner sa cloche, puis par les répliques courtes, les interruptions, mais aussi par l'agitation créée de toutes pièces par Toinette qui fait semblant de s'être cognée la tête. Les effets de rythme dans le Malade imaginaire sont le plus souvent marqués par la colère d'Argan. En effet, lorsque Toinette lui assène comme une certitude qu’il ne mettra pas sa fille dans un couvent parce que sa tendresse l'en empêchera, l’audace de Toinette met Argan en colère : « je peux être méchant si je veux ». Cette colère agite la scène brusquement, après une phase de montée progressive de la tension. Argan prend son bâton puis court après Toinette pour essayer de la frapper et l'insulte à de nombreuses reprises.
Beaucoup d’autres changements de tempo sont provoqués intentionnellement par Toinette. Par exemple, lors du passage des oreillers (I, 6), lorsque Béline est en train d'accommoder calmement son mari avec une tendresse surjouée et que Toinette, au contraire, met « rudement » un oreiller sur la tête d'Argan, cela provoque subitement l'éclatement de sa colère, celui-ci se lève et jette tous les oreillers vers Toinette. Cette colère prouve aussi à nouveau qu’Argan n'est pas malade, ce qui augmente le comique de la scène et sa dimension spectaculaire.
Lorsque Monsieur Purgon pense qu’Argan a refusé son remède, il prononce un discours durant lequel sa colère augmente progressivement, avec des menaces de maladie de plus en plus graves qui impressionnent le pauvre patient et mette le spectateur dans une tension croissante.
D'une autre façon, le quiproquo lors du premier dialogue entre Angélique et son père propose une montée progressive de la tension vers la révélation du malentendu.
Pour conclure, toute la pièce est marquée par des changements de rythme et une agitation qui remue le spectateur et lui fait assister à un spectacle très mouvementé.
8. Dans le Malade imaginaire, le comique repose souvent sur le bas corporel, dans son opposition avec ce que devraient être les personnages ou ce qu'ils essayent de faire passer d’eux, l'autorité et le savoir.
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Le monologue initial : un vieil homme qui fait le compte de ses lavements, juste après le Prologue bucolique à la gloire du monarque.
ARGAN. – [...] un clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols.
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Les médecins et apothicaires : formalisme de la profession (costume, sérieux, vocabulaire…) et irruption du bas corporel. Exemple de l’apparition brusque et menaçante de M. Fleurant (III, 4) :
MONSIEUR FLEURANT, une seringue à la main. – [...] De quoi vous mêlez-vous de vous opposer aux ordonnances de la médecine et d’empêcher Monsieur de prendre mon clystère ?
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Onomastique : connotations scatologiques des noms propres Purgon et Fleurant
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Autres exemples d’allusion scatologiques :
I, 2 : Jeu autour de la chaise percée d’Argan :
TOINETTE. – (…) c’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.
ARGAN. – Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. (Argan se lève de sa chaise.) Mon lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ?
ARGAN, courant au bassin. – Attendez. Donnez-moi mon bâton. Je vais revenir tout à l’heure. (I, 3)
BÉRALDE. – Allez, Monsieur ; on voit bien que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages. (III, 4)
MONSIEUR PURGON. – Un clystère que j’avais pris plaisir à composer moi-même. (III, 5)
ARGAN. – Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’étaient des coliques. (III, 10)
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Allusion peu galante de M. Diafoirus à la fertilité de son fils Thomas
MONSIEUR DIAFOIRUS. – Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le mariage et la propagation, je vous assure que, selon les règles de nos docteurs, il est tel qu’on le peut souhaiter ; qu’il possède à un degré louable la vertu prolifique, et qu’il est du tempérament qu’il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés. (II, 5)
9. Dans le Malade imaginaire, le spectacle vient de scènes très animées, avec du comique de gestes et une grande agitation avec les accessoires utilisés par les comédiens sur le plateau.
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La colère d’Argan et la course-poursuite autour de la chaise avec la menace du bâton
TOINETTE.- Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser.
ARGAN court après Toinette.- Ah ! insolente, il faut que je t’assomme.
TOINETTE se sauve de lui.- Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.
ARGAN, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main.- Viens, viens, que je t’apprenne à parler.
TOINETTE, courant, et se sauvant du côté de la chaise où n’est pas Argan.- Je m’intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.
ARGAN.- Chienne !
TOINETTE.- Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.
ARGAN.- Pendarde !
TOINETTE.- Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus.
ARGAN.- Carogne !
TOINETTE.- Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.
ARGAN.- Angélique, tu ne veux pas m’arrêter cette coquine-là ?
ANGÉLIQUE.- Eh, mon père, ne vous faites point malade.
ARGAN.- Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédiction.
TOINETTE.- Et moi je la déshériterai, si elle vous obéit.
ARGAN se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle.- Ah ! ah ! je n’en puis plus. Voilà pour me faire mourir.
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La bataille d’oreillers
TOINETTE, lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant. – Et celui-ci pour vous garder du serein.
ARGAN se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette. – Ah ! coquine, tu veux m’étouffer
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La fausse mort d’Argan et son réveil : peur panique de Béline
TOINETTE.- Votre mari est mort.
BÉLINE.- Mon mari est mort ?
TOINETTE.- Hélas oui. Le pauvre défunt est trépassé. (…)
BÉLINE.- Le Ciel en soit loué. Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort !
(…)
ARGAN, se levant brusquement.- Doucement.
BÉLINE, surprise, et épouvantée.- Ahy !
ARGAN.- Oui, Madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?
TOINETTE.- Ah, ah, le défunt n’est pas mort.
10. Le spectacle comique peut aussi avoir comme effet de faire réfléchir le spectateur sur un sujet sérieux, comme la peur de la maladie ou de la mort.
Argan est un personnage à la fois simple et profond : un personnage comique typique et en même temps un modèle de l'homme et de la condition humaine.
Ses exigences tyranniques le font penser à un roi (une chaise-trône, un bonnet-couronne, un bâton-sceptre) : analogie de l’homme qui se croit maître de son existence alors qu’il ne l’est pas (philosophie antique) : cette illusion de maîtrise est à l’origine des passions et de la souffrance d’Argan, comme de l’Homme en général. La fable du Malade imaginaire, c'est donc celle de l'homme victime des peurs que créent en lui son imagination. Délivrer les humains de la crainte de la mort, qui conditionne tout le comportement déviant d'Argan, c'était déjà la mission qu’attribuaient à la philosophie les sages épicuriens et stoïciens.
Molière dénonce ainsi, avec la médecine, une forme de superstition révélatrice de la crédulité de l’homme confronté à la compréhension de sa propre nature et à la crainte de la mort. Il y a une science prétendue, faite de croyances, de respect des textes sacrés, de soumission aux autorités. Cette fausse science est aux mains d'individus qui exploitent la faiblesse humaine à leur profit.
Le Malade imaginaire propose une réflexion sur les effets de l'illusion, l'égarement humain, la peur de la mort. Mais face aux difficultés bien réelles de la condition humaine, ce que Molière met en avant, c’est la comédie, et plus généralement la force vitale du rire. Comme la catharsis pour la tragédie, le rire est libérateur : il libère l’homme de ses peurs et lui permet d’assumer le moins mal possible les incertitudes de l’existence. Il suit en cela le modèle de Don Quichotte et de la folie du sage qui, confondant réel et fiction, trouve le bonheur.
C’est donc dans l’éloge de tout ce qui se rapporte au carnaval et à la fête que Molière trouve une réponse aux incertitudes et aux angoisses de la condition humaine : jeu de rôles, déguisements (en particulier la grande scène virtuose de Toinette en médecin), acceptation de la folie avec la cérémonie d’Argan en médecin.
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